par Charlotte Gagnon-Ferembach
Une réalité quotidienne pour beaucoup d'usagers vulnérables à Montreal |
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Charlotte Gagnon-Ferembach a de l'expérience en design urbain qu'elle a étudié à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM). Elle est actuellement stagiaire au bureau de Copenhagenize Design à Montréal.
Une automobile demeure stationnée en moyenne 95% du temps, monopolisant ainsi une part importante de l’espace urbain au détriment d’autres usages. Même dans des villes renommées comme Copenhague, les automobiles occupent une place disproportionnée en comparaison des autres activités urbaines malgré qu’une minorité seulement des résidents possède une voiture et qu’encore moins l’utilisent quotidiennement. La carte ci-dessous, de 2015, expose le volume que cela représente si l’on joignait les espaces de stationnement de Copenhague et de Frederiksberg: 3,23 km2. Espace qui pourraient être transformés en parcs, restaurants, jardins, habitations, etc. La liste des possibilités est infinie.
Ici, Montréal ne fait pas exception à la règle quand on parle de voies publiques accaparées par le stationnement. À l’image de nombreuses villes nord-américaines, la métropole est organisée selon un plan quadrillé qui facilite d’abord le transit tandis que le courant moderniste et l’arrivée de l’automobile ont laissé une forte marque dans l’espace urbain. Au-delà des enjeux typiques concernant la part modale dominante de l’automobile, l’immense part d’espace public dédié au stationnement, plutôt qu’à d’autres activités, pose problème. Cela encourage de plus en plus de résidents de Montréal, comme ailleurs dans le monde, à se réapproprier l’espace public et à se tourner vers des solutions qui remplacent l’automobile afin d’améliorer leur qualité de vie au quotidien.
La journée PARK(ing) Day, qui célèbre l’urbanisme tactique sur des espaces de stationnement, est une des actions issues de ce mouvement. Cette année encore, ce 22 septembre, Montréal, ainsi que 161 autres villes à travers le monde, a pris part à cet évènement. Pour l’occasion, Copenhagenize Design Co. a collaboré avec Piétons Québec, Vélo Fantôme Montréal, Les AmiEs du parc des Gorilles, la Coalition Vélo de Montréal et le Conseil Régional de l’Environnement de Montréal.
Le carrefour Beaubien/Saint-Urbain présentement |
Le carrefour Beaubien Ouest/Saint-Urbain, au sein du quartier en pleine effervescence Marconi-Alexandra, qui témoigne notamment du retard de la ville de Montréal dans la gestion des voies publiques, a attiré l’attention du groupe. L’intersection présente un fort achalandage routier impliquant de nombreux véhicules lourds de livraison. Cette circulation sera certainement amplifiée par la création du parc des Gorilles, adjacent l’intersection, et du nouveau campus de l’Université de Montréal et, d’une manière générale, par la densification du quartier. Les aménagements existants présentent néanmoins des lacunes quant à la gestion de ce trafic puisque l’intersection, telle qu’actuellement dessinée, engendre plusieurs risques de collisions, notamment pour les personnes les plus vulnérables, se déplaçant à pied ou à vélo.
Entre autres problèmes, notons l’absence de traverses piétonnes sécuritaires, la fin brutale de la piste cyclable des Carrières enclavée entre deux voies d’accès à des stationnements privés très fréquentés et qui se heurte à deux voies de circulation automobile de sens inverses, l’absence de signalisations et de mesures de ralentissement et les chaussées occupées par des voies de stationnement qui présentent un risque d’emportiérage pour les usagers de vélo. Un vidéo diffusé sur le site Youtube par Simon Van Vilet est à l’image d’une heure de pointe comme les autres.
Par une démarche visant à sensibiliser le public aux risques encourus par les usagers plus vulnérables de la route et aux potentiels d’utilisation de l’espace accordé au stationnement, le groupe de collaboration a donc requalifié cinq cases de stationnement, situées à cette intersection critiquée, en saillies éphémères peintes par l’artiste local et activiste Roadsworth.
Le carrefour Beaubien/Saint-Urbain pour la journée PARK(ing) Day |
Roadsworth à l'oeuvre dans la rue |
Le projet a naturellement piqué la curiosité des passants qui s’arrêtaient fréquemment pour observer l’artiste à l’oeuvre et s’intéressaient au développement de l’intersection. Cette chaude première journée d’automne aura donc été l’occasion de rassembler pour quelques heures des résidents ou travailleurs du quartier, des militants engagés pour une réappropriation urbaine des lieux sous-utilisés et des professionnels du milieu de l’aménagement qui souhaitent passer de la théorie à la pratique. Malgré le trafic incessant environnant, il aura été possible de créer un espace de vie et de rencontres, s’adressant à tous, qui n’aura créé, à notre grande surprise, aucun mécontentement, mais plutôt une scène de réflexion. Dans tous les cas, les discussions menaient à un appui considérable pour un réaménagement du lieu.
Des passants curieux et des partenaires qui travaillent |
Une proposition d'aménagements pour le carrefour qui s'adresse à tous les usagers |
La mort d’une énième personne en vélo, survenue la semaine dernière à Montréal, rend inévitable un débat public en vue de provoquer un changement immédiat des infrastructures routières de la part de la ville et d’atteindre la Vision Zéro qu’a adoptée Montréal en 2016. La ville a, certes, posé les bases d’un engagement vers la création de rues plus sûres pour les cyclistes avec le lancement du Plan-cadre vélo : sécurité, efficience, audace, mais sa Vision Zéro restera insuffisante si elle ne se traduit pas concrètement par des aménagements urbains sécurisants les usagers les plus vulnérables. Dans les faits, cette campagne qui vise la sensibilisation du public à la sécurité routière pose problème dans l’usage même du mot « accident» de la formulation « Zéro accident mortel» présente dans le vidéo diffusé par la ville. Il n’y a pas d'événements imprévus, mais bien des infrastructures inadéquates et des comportements qui entraînent ces collisions, parfois, mortelles. Comme cela a été mentionné dans un autre article de notre blog, l'usage du terme accident est critiquable dans de telles circonstances dans la mesure où cela atténue la responsabilité des aménageurs et des conducteurs. Bref, la mairie de Montréal, à l’instar de bien d’autres villes dans le monde, a un rôle incontournable à jouer auprès de la population en éduquant les habitants en ce qui a trait à l’inévitable transformation de nos villes et en convainquant les sceptiques par des actions éclairées et conséquentes.
Une remise en question de l’espace alloué aux stationnements peut certainement faire partie de la solution afin de récupérer celui-ci pour des usages plus bénéfiques. En l'occurrence, des groupes, comme la fondation américaine Better Block qui revitalise des espaces vacants en lieux de rencontres et fait la promotion de bonnes pratiques de réhabilitation urbaine, ne manquent pas d’idées.
Une intersection bonifiée en Ohio, É-U, par la fondation Better Block |
Des initiatives de partout à travers le monde telles que celle de la rue cyclable et commerçante Nørrebrogade à Copenhague ont également de quoi inspirer n’importe quelle ville. Ce projet, qui était d’abord pilote, a acquis un titre permanent en 2008. Ainsi, cette grande artère de Copenhague est dorénavant réservée à la circulation de vélos et d’autobus tandis que les automobiles sont invitées à changer d’itinéraire. Le projet va plus loin: les feux de signalisation y sont coordonnés à 20km/h, une vitesse jugée normale chez un usager de vélo. Il en résulte une augmentation des déplacements en vélo, une diminution du trafic automobile et une meilleure ponctualité des autobus alors que la majorité des résidents appuie le projet.
Le projet pilote sur Nørrebrogade à Copenhague en 2008 |
Copenhagenize Design Co. s’engage à promouvoir activement ces idées innovatrices qui changent le monde une intersection à la fois et à œuvrer auprès des villes qui sont prêtes à rétablir une échelle plus humaine, pour créer des villes agréables, où l’on peut se déplacer en toute sécurité.